Dans les deux premiers volets de cette série, les fondations ont été posées : définir clairement ses objectifs et balayer quelques idées reçues, puis faire le tour des grandes familles d’actifs pour choisir son univers d'investissement.
Il reste désormais une question décisive : comment assembler ces briques pour bâtir un portefeuille d’investissement cohérent et durable ?
C’est précisément le rôle de l’allocation d’actifs : répartir son capital entre actions, obligations, immobilier et matières premières (sans oublier les liquidités) afin d’équilibrer rendement et risque. Contrairement à une idée tenace, la performance à long terme dépend moins de la sélection d’un titre “star” que de la combinaison des classes d’actifs et de leurs proportions dans le portefeuille. Autrement dit, la différence se joue davantage entre la part accordée aux actions, aux obligations ou à l’immobilier qu’entre tel ou tel nom de société.
On peut l’imaginer comme une recette : les ingrédients peuvent être excellents, mais le dosage fait le plat. Un peu de dynamisme avec les actions, un amortisseur avec les obligations, de la stabilité via l’immobilier, un assaisonnement avec les matières premières, et un filet de liquidités pour la flexibilité. Ce dosage conditionne la trajectoire d’investissement : potentiel de performance, niveau de volatilité, et surtout capacité à rester investi pendant les périodes chahutées.
Dans ce troisième volet, place au concret :
- clarifier la relation risque/rendement et le rôle de chaque classe d’actifs ;
- passer en revue des portefeuilles types (20/80, 60/40, 80/20, portefeuille permanent, All Weather, lazy portfolios) ;
- proposer des allocations réalistes selon plusieurs profils ;
- et poser une méthode simple pour définir sa propre allocation.
Objectif : fournir un cadre pratique pour transformer une liste d’actifs en architecture de portefeuille solide, lisible et tenable dans le temps.
Comprendre le risque et le rendement
Avant de choisir une allocation d’actifs, il est essentiel de maîtriser le couple risque/rendement. Ces deux dimensions avancent ensemble : viser un rendement plus élevé implique d’accepter davantage d’incertitude. L’objectif n’est pas d’éliminer le risque — impossible — mais de le calibrer pour qu’il reste supportable dans la durée.
Qu’appelle-t-on “rendement” ?
Le rendement correspond au gain attendu d’un investissement sur une période donnée (par exemple, 5–7 % par an en moyenne pour les actions mondiales sur longue durée). Il ne s’agit pas d’une promesse, mais d’une espérance statistique. Les marchés évoluent par cycles : certaines années dépassent largement la moyenne, d’autres sont négatives. Ce qui compte, c’est la trajectoire à long terme et la capacité à rester investi.
Qu’appelle-t-on “risque” ?
Le risque est la possibilité que le résultat s’écarte de l’attendu : volatilité des prix, pertes temporaires ou durables, imprévus macroéconomiques. Il se manifeste différemment selon les classes d’actifs : fortes variations pour les actions, sensibilité aux taux d’intérêt pour les obligations, moindre liquidité pour l’immobilier, absence de revenus pour l’or et les matières premières. Le risque bien géré est le prix du rendement ; mal géré, il devient une source d’abandon en plein creux de marché.
👉 Pour en savoir plus, lisez mon article Pour l'amour du risque.
Les principaux types de risques à connaître
- Risque de marché : fluctuations globales des prix, particulièrement marquées sur les actions.
- Risque de taux : quand les taux montent, la valeur des obligations baisse ; l’inverse est également vrai.
- Risque de liquidité : difficulté à vendre rapidement sans décote (immobilier, certains fonds).
- Risque d’inflation : hausse des prix qui érode le pouvoir d’achat et peut rendre un rendement réel (après inflation) décevant.
- Risque de change (si exposition hors euro) : la devise peut amplifier ou réduire la performance.
Pourquoi l’allocation d’actifs aide-t-elle ? Parce qu’elle combine des sources de risque différentes. Quand certaines baissent, d’autres résistent ; le portefeuille devient plus stable que la somme de ses parties. C’est la logique de la diversification.
Situer les classes d’actifs sur l’échelle risque/rendement
Sans figer des chiffres (qui dépendent des périodes), on peut se repérer ainsi :
- Liquidités / fonds monétaires : faible risque, rendement modeste ; utiles pour la sécurité et la flexibilité.
- Obligations (qualité investissement, durée modérée) : compromis entre stabilité et rendement, mais sensibles aux taux.
- Immobilier coté (REITs/foncières) : source de revenus et diversification, volatilité intermédiaire.
- Actions mondiales : moteur de croissance à long terme, volatilité élevée à court terme.
- Or / matières premières : rôle d’assurance partielle dans certains régimes (inflation, stress), mais pas de flux de revenus.
Cette hiérarchie permet d’ajuster le mix selon l’horizon de placement et la tolérance au risque : plus l’horizon est long, plus la part d’actifs risqués (actions) peut augmenter ; plus l’horizon est court, plus il faut de stabilisateurs (obligations, liquidités).
Le vrai objectif : rester investi
Choisir une allocation d’actifs revient donc à aligner rendement espéré, horizon et stabilité émotionnelle. Une bonne allocation n’est pas celle qui maximise la performance théorique, mais celle qui permet de rester investi pendant les phases difficiles. La section suivante traduira ces principes en portefeuilles types (20/80, 60/40, 80/20, etc.) et montrera comment intégrer les autres briques — liquidités, immobilier, or — pour renforcer la résilience.
Le cœur de l’allocation : actions et obligations
Pour la majorité des investisseurs, la répartition entre actions et obligations constitue le socle d’un portefeuille. Les actions représentent le moteur de croissance à long terme : elles offrent des rendements supérieurs, mais au prix d’une volatilité importante. Les obligations jouent le rôle d’amortisseur : elles apportent stabilité et revenus réguliers, même si elles restent sensibles aux taux d’intérêt et à l’inflation.
Cette répartition, appelée allocation stratégique, est le principal déterminant du rendement global et de la volatilité du portefeuille. C’est aussi le point de départ de la plupart des portefeuilles types.
Comment réagissent les portefeuilles mixtes ?
Un moyen simple de visualiser le risque est de simuler une chute de −30 % des marchés actions, en supposant (hypothèse simplifiée) que les obligations restent stables.
- 100 % actions → perte ≈ −30 %
- 80/20 → perte ≈ −24 %
- 60/40 → perte ≈ −18 %
- 40/60 → perte ≈ −12 %
- 20/80 → perte ≈ −6 %
Ces ordres de grandeur permettent d’évaluer la tolérance au risque. Une baisse de −20 % sur un capital de 100 000 € représente une perte temporaire de 20 000 €. Certains peuvent l’encaisser, d’autres non. L’allocation doit rester supportable psychologiquement.
20/80 — Très prudent
- Profil type : horizon court (moins de 5 ans), projet défini (achat immobilier, retraite imminente), forte aversion au risque.
- Avantages : grande stabilité, pertes limitées lors des crises.
- Limites : rendement faible, souvent insuffisant pour battre l’inflation sur longue durée.
40/60 — Prudent
- Profil type : investisseur modéré, horizon 5 à 10 ans, volonté de préserver le capital tout en profitant un peu des marchés.
- Avantages : compromis rassurant, krachs atténués.
- Limites : progression plus lente lors des phases haussières, risque de regret face à des portefeuilles plus dynamiques.
60/40 — Équilibré
- Profil type : horizon long (10–20 ans), tolérance moyenne au risque, recherche d’un bon rapport rendement/volatilité.
- Avantages : allocation historique de référence, facile à mettre en œuvre, base simple à enrichir (immobilier, or, liquidités).
- Limites : reste exposé à des baisses marquées (−15 à −20 % en cas de crise).
80/20 — Dynamique
- Profil type : horizon très long (20 ans et +), capacité émotionnelle à supporter de fortes corrections, recherche de performance.
- Avantages : maximise la croissance du capital, tout en conservant un petit amortisseur obligataire.
- Limites : volatilité élevée, creux profonds à encaisser sans paniquer.
100/0 — Tout actions
- Profil type : investisseur discipliné, horizon ultra-long (30 ans et +), tolérance maximale au risque.
- Avantages : potentiel de rendement le plus élevé.
- Limites : variations extrêmes (jusqu’à −40 % ou plus en crise). Peu d’investisseurs tiennent ce cap sur le long terme.
Un principe à garder en tête
Mieux vaut une allocation légèrement plus prudente que l’on est capable de tenir 20 ans, qu’une allocation plus agressive abandonnée au premier krach.
La discipline et la régularité des apports pèsent davantage que le passage de 60 à 65 % d’actions.
Les satellites : liquidités, immobilier et matières premières
Si la répartition entre actions et obligations constitue le cœur d’un portefeuille, il est possible d’enrichir cette ossature avec quelques briques complémentaires. Ces actifs, parfois appelés “satellites”, ne remplacent pas le duo principal mais viennent renforcer la diversification et améliorer la résilience dans certains contextes économiques.
Les liquidités : un filet de sécurité
Les liquidités — cash disponible sur un compte courant ou un fonds monétaire — ne rapportent presque rien à long terme. Pourtant, elles sont essentielles.
- Épargne de précaution (hors portefeuille) : 3 à 6 mois de dépenses courantes, toujours accessibles. Ce n’est pas un placement mais une assurance contre l’imprévu.
- Poche de liquidités dans le portefeuille (5–10 % max) : utile pour réduire la volatilité globale et faciliter les rééquilibrages sans avoir à vendre d’autres actifs en urgence.
- Cash opportuniste : aussi appelé "poudre sèche", réservé aux investisseurs disciplinés qui conservent une petite réserve pour renforcer leurs positions en actions lors des baisses significatives du marché.
👉 Attention : trop de liquidités érode le rendement réel à cause de l’inflation. Leur rôle est d’apporter de la flexibilité, pas de générer du rendement.
L’immobilier coté : diversifier les sources de revenus
L’immobilier est souvent la première idée qui vient à l’esprit quand on parle de patrimoine. Pour un portefeuille d’investissement diversifié, il peut être abordé via des supports financiers liquides :
- REITs (Real Estate Investment Trusts) / foncières cotées (OPCI): exposent à l’immobilier d’entreprise (bureaux, commerces, logistique). Elles sont liquides, cotées en Bourse, et distribuent souvent des dividendes.
- SCPI ou fonds immobiliers : plus accessibles en France, mais moins liquides et avec des frais supérieurs.
Rôle dans le portefeuille :
- Générer des revenus complémentaires.
- Apporter une exposition à l’immobilier sans acheter directement un bien.
- Réagir différemment des actions classiques, même si une certaine corrélation existe.
En pratique, une poche de 5 à 10 % d’immobilier coté suffit à enrichir l’allocation.
Les matières premières et l’or : une assurance partielle
Contrairement aux actions ou obligations, les matières premières ne produisent pas de flux de revenus. Leur intérêt réside dans leur capacité à réagir différemment du reste du portefeuille, notamment en période de stress économique.
- L’or : historiquement perçu comme une valeur refuge, il tend à s’apprécier en période d’inflation élevée, de crise géopolitique ou de perte de confiance dans les monnaies.
- Autres matières premières (énergie, métaux, agriculture) : plus volatiles, elles peuvent jouer un rôle dans des portefeuilles sophistiqués, mais restent difficiles à intégrer pour les particuliers.
Rôle dans le portefeuille :
- Servir de “police d’assurance” contre certains scénarios extrêmes.
- Améliorer la résilience d’un portefeuille diversifié.
👉 En pratique, une exposition modeste suffit : 2 à 5 % en or peuvent déjà stabiliser le portefeuille dans des périodes atypiques.
Ce qu’il faut retenir
Les satellites — liquidités, immobilier, matières premières — apportent une couche supplémentaire de diversification. Leur rôle n’est pas de remplacer les actions et obligations, mais de rendre le portefeuille plus robuste face à des scénarios économiques variés.
Pour la plupart des investisseurs particuliers, 10 à 15 % de satellites au total suffisent largement.
Des portefeuilles concrets qui tiennent la route
Après avoir exploré le duo actions/obligations et les satellites possibles, il est temps d’assembler ces briques dans des allocations cohérentes. Voici trois exemples de portefeuilles réalistes, adaptés à différents profils d’investisseurs. Ces schémas ne sont pas des prescriptions mais des ossatures éprouvées, faciles à adapter en fonction des objectifs et de la tolérance au risque.
A) Portefeuille prudent moderne (capital à protéger)
- 40 % actions mondiales
- 45 % obligations investment grade (durée modérée)
- 10 % immobilier coté (REITs ou SCPI)
- 5 % or
Pourquoi ça fonctionne :
- Le poids majoritaire en obligations stabilise le portefeuille.
- L’immobilier et l’or jouent un rôle de diversification complémentaire.
- Les actions conservent une place significative pour contrer l’inflation.
Pour qui : horizon 5–10 ans, priorité à la préservation du capital et au confort psychologique.
B) Portefeuille équilibré polyvalent (base 60/40 enrichie)
- 55–60 % actions mondiales
- 30–35 % obligations globales
- 5 % immobilier coté
- 5 % or
Pourquoi ça fonctionne :
- L’ossature historique du 60/40, renforcée par deux satellites (immo et or).
- Un compromis clair entre rendement espéré et stabilité.
- Facile à mettre en œuvre avec quelques ETF diversifiés.
Pour qui : horizon 10–20 ans, investisseurs qui veulent un portefeuille robuste sans complexité.
C) Portefeuille dynamique discipliné (80/20 étendu)
- 75–80 % actions mondiales
- 15–20 % obligations
- 0–5 % or ou liquidités
Pourquoi ça fonctionne :
- Les actions dominent et assurent la croissance à long terme.
- Les obligations amortissent légèrement les baisses et permettent de rééquilibrer en période de stress.
- Une petite poche d’or ou de cash peut jouer le rôle de “tampon psychologique”.
Pour qui : horizon long (20 ans et +), capacité à supporter des baisses temporaires de −20 à −25 % sans vendre.
Variante : l’option “cash buffer”
Certains investisseurs remplacent une partie des obligations (ex. 5 %) par du cash. Cette poche de liquidités permet de rééquilibrer plus sereinement en période de baisse. Le rendement global est légèrement réduit, mais la stabilité psychologique augmente — ce qui est souvent le facteur décisif pour tenir la stratégie.
Comment choisir entre ces allocations ?
Le choix dépend de trois critères principaux :
- L’horizon de placement : plus il est long, plus la part d’actions peut être élevée.
- La tolérance au risque : combien de perte en euros seriez-vous prêt à supporter sans paniquer ?
- La régularité d’épargne : des apports mensuels (DCA) rendent les creux plus supportables, autorisant un peu plus d’actions.
👉 La clé est de choisir un portefeuille que l’on peut suivre dans la durée. Un 60/40 respecté 20 ans est supérieur à un 100 % actions abandonné au premier krach.
Les autres portefeuilles types à connaître
Au-delà des déclinaisons classiques actions/obligations, plusieurs modèles de portefeuilles ont marqué l’histoire de l’investissement. Ils ne sont pas des recettes toutes faites, mais des sources d’inspiration pour comparer et affiner sa propre allocation.
Le portefeuille permanent (Harry Browne)
Imaginé dans les années 1980 par Harry Browne, le portefeuille permanent a été conçu pour résister à tous les régimes économiques. Sa répartition est simple et symétrique :
- 25 % actions → croissance économique
- 25 % obligations long terme → stabilité et baisse des taux
- 25 % or → protection contre l’inflation et les crises
- 25 % liquidités → sécurité et flexibilité
Forces :
- Volatilité très faible.
- Structure claire et facile à suivre.
Limites :
- Rendement modéré à long terme.
- 25 % de cash en permanence représente un coût d’opportunité.
Ce portefeuille s’adresse à ceux qui privilégient la stabilité et la sérénité plutôt que la performance maximale.
L’All Weather Portfolio (Ray Dalio)
Popularisé par Ray Dalio (Bridgewater Associates), l’All Weather Portfolio reprend l’idée de diversifier par régimes économiques (croissance/inflation en hausse ou en baisse). La répartition typique est :
- 30 % actions
- 40 % obligations long terme
- 15 % obligations court terme
- 7,5 % or
- 7,5 % matières premières
Forces :
- Résilience sur de longues périodes.
- Diversification poussée.
Limites :
- Complexe à répliquer pour un particulier, surtout hors États-Unis.
- Rendement inférieur à un portefeuille plus orienté actions.
C’est un modèle souvent cité pour les gros patrimoines qui recherchent la régularité.
Les Lazy Portfolios (Bogleheads, Couch Potato, etc.)
Les lazy portfolios (“portefeuilles pour les paresseux”) visent à capturer la performance mondiale avec un minimum d’effort et de frais.
Exemples connus :
- 3-Fund Portfolio (Bogleheads) : actions US + actions internationales + obligations globales.
- Couch Potato (Scott Burns) : 50 % actions, 50 % obligations.
- Core Four (Rick Ferri) : actions US large cap, actions US small cap, actions internationales, obligations globales.
Forces :
- Simplicité extrême.
- Frais très réduits grâce aux ETF.
Limites :
- Moins protecteurs en cas de scénario atypique (inflation forte, crise obligataire).
Ils conviennent parfaitement aux investisseurs qui veulent une approche passive et robuste.
Le portefeuille barbell (ou “haltère”)
Popularisé par Nassim Taleb, le barbell portfolio repose sur une idée radicale :
- 80–90 % en actifs très sûrs (cash, obligations court terme).
- 10–20 % en actifs très risqués mais à fort potentiel (actions de croissance, small caps, crypto, private equity…).
Forces :
- Capital fortement protégé.
- Potentiel de gains explosifs via la poche risquée.
Limites :
- Discipline nécessaire pour accepter la perte totale de la poche risquée.
- Rendement global dépendant d’une minorité d’investissements.
Ce modèle illustre bien une stratégie asymétrique : faible risque de ruine, mais possibilité de gains exceptionnels.
Les portefeuilles “factoriels” (Smart Beta)
Une approche plus récente consiste à surpondérer certains facteurs identifiés par la recherche académique :
- Value (actions sous-évaluées),
- Small caps (petites capitalisations),
- Quality (entreprises solides),
- Momentum (titres en tendance haussière).
Forces : potentiel de surperformance à long terme.
Limites : nécessite de supporter de longues périodes de sous-performance relative.
Ces portefeuilles s’adressent à des investisseurs plus avancés, capables de suivre une logique académique sans se laisser décourager par des cycles défavorables.
Pourquoi ces modèles sont utiles
Aucun de ces portefeuilles n’est parfait. Leur intérêt est ailleurs :
- Inspirer → montrer des approches variées selon les objectifs.
- Comparer → servir de point de référence pour évaluer une allocation.
- Adapter → partir d’un modèle simple et l’ajuster à sa propre situation.
Comment définir sa propre allocation pas à pas
S’inspirer de portefeuilles types est utile, mais l’allocation idéale est toujours personnelle. Elle doit refléter vos objectifs, votre horizon et votre tolérance au risque. Voici une méthode simple en cinq étapes.
1. Clarifier ses objectifs (le “pourquoi”)
Tout part des objectifs financiers.
- Préparer sa retraite dans 25 ou 30 ans ?
- Acheter une résidence principale dans 8 ans ?
- Constituer une épargne pour les études des enfants dans 15 ans ?
- Ou simplement préserver son capital face à l’inflation ?
Chaque objectif implique un horizon temporel et un besoin de rendement différent. Plus l’horizon est long, plus il est possible de privilégier les actifs dynamiques (actions). Plus il est court, plus il faut sécuriser le capital via des obligations et des liquidités.
2. Évaluer sa tolérance au risque (le “comment”)
La bonne allocation n’est pas seulement une question de chiffres, mais aussi de psychologie.
Un test simple consiste à se demander :
« Si mon portefeuille perdait 20 % en un an, quelle serait ma réaction ? »- Panique immédiate et envie de vendre → allocation prudente (20/80 ou 40/60).
- Inquiétude mais capacité à tenir → allocation équilibrée (60/40).
- Frustration de ne pas pouvoir investir davantage → allocation dynamique (80/20 ou plus).
👉 Le pire scénario n’est pas de subir une perte temporaire, mais d’abandonner la stratégie en pleine crise. La bonne allocation est donc celle que l’on peut tenir dans la durée.
3. Déterminer le cœur actions/obligations
Le tronc commun d’un portefeuille repose sur la répartition entre actions et obligations. Quelques repères utiles :
- 20/80 : très prudent, horizon court (< 5 ans).
- 40/60 : prudent, horizon moyen (5–10 ans).
- 60/40 : équilibré, horizon long (10–20 ans).
- 80/20 : dynamique, horizon très long (20 ans+).
- 100/0 : agressif pur, réservé aux investisseurs disciplinés.
Cette grille simplifiée permet de cadrer rapidement une allocation de base.
4. Ajouter des satellites avec modération
Une fois le cœur défini, il est possible d’ajouter des poches secondaires pour diversifier davantage :
- Liquidités (5–10 % max) : flexibilité et possibilité de rééquilibrage.
- Immobilier coté (5–10 %) : revenus récurrents et diversification.
- Or ou matières premières (2–5 %) : assurance partielle contre certains scénarios macroéconomiques.
👉 L’objectif n’est pas de multiplier les micro-allocations, mais de renforcer la robustesse sans complexifier inutilement le portefeuille.
5. Écrire des règles claires de gestion
Une allocation n’a de valeur que si elle est respectée dans le temps. Pour éviter les décisions impulsives, il est essentiel de définir des règles simples :
- Quelle est l’allocation cible (par exemple 60 % actions, 35 % obligations, 5 % or) ?
- Quand effectuer un rééquilibrage (une fois par an, ou lorsque certains écarts dépassent 5 points) ?
- Quelle part de l’épargne reste toujours en dehors du portefeuille (épargne de précaution) ?
Ces règles jouent le rôle de garde-fous psychologiques : elles évitent de céder à l’émotion et garantissent la cohérence de la stratégie dans la durée.
Le raccourci pratique : la règle des trois couches
Pour simplifier, on peut visualiser un portefeuille comme une superposition de trois étages :
- Couche 1 : l’épargne de précaution (hors portefeuille) → 3 à 6 mois de dépenses en liquidités.
- Couche 2 : la poche défensive (obligations, cash long terme) → la partie qui sécurise.
- Couche 3 : la poche de croissance (actions, satellites) → la partie qui fait progresser le capital.
👉 Ajuster l’épaisseur de chaque couche selon ses projets et son horizon reste la manière la plus simple d’obtenir une allocation d’actifs adaptée.
Exemples d’allocations selon les profils d’investisseurs
Définir une allocation d’actifs reste un exercice abstrait tant qu’on ne l’applique pas à des situations concrètes. Pour aider à se projeter, voici trois profils types avec des portefeuilles adaptés. Ces exemples n’ont pas vocation à être des recommandations personnalisées, mais à illustrer la logique derrière chaque choix.
1. Le jeune actif qui investit pour le long terme
Contexte :
- 28 ans, emploi stable, horizon d’investissement : 25 à 30 ans.
- Capacité d’épargne régulière : 500 € par mois.
- Tolérance au risque correcte (peut supporter une perte temporaire de −20 à −25 %).
Allocation type :
- 75 % actions mondiales (ETF larges, diversification géographique)
- 15 % obligations investment grade (durée moyenne)
- 5 % immobilier coté (REITs)
- 5 % or
Logique :
- Les actions dominent pour maximiser la croissance à long terme.
- Les obligations jouent un rôle d’amortisseur.
- L’immobilier et l’or ajoutent une diversification marginale.
- L’épargne de précaution (3–6 mois de dépenses) reste en dehors du portefeuille.
Forces et limites :
- Potentiel de performance élevé sur longue durée.
- Forte volatilité à court terme, qui exige discipline et régularité des apports.
2. La famille avec projet immobilier à moyen terme
Contexte :
- Couple de 35 ans, deux enfants.
- Projet : achat d’une résidence principale dans 7 à 8 ans.
- Épargne mensuelle : 1 200 €, dont une partie doit rester mobilisable.
- Tolérance au risque modérée.
Allocation type :
- 40 % actions mondiales
- 40 % obligations (durée courte à moyenne, faible risque de taux)
- 10 % liquidités (au sein du portefeuille)
- 10 % immobilier coté ou SCPI
Logique :
- Les obligations et le cash sécurisent l’épargne pour un horizon inférieur à 10 ans.
- Les actions gardent une place pour préserver le rendement réel face à l’inflation.
- L’immobilier diversifie et prépare indirectement au projet futur.
Forces et limites :
- Portefeuille résilient, adapté à un objectif concret.
- Rendement moyen plus limité.
- Inflation prolongée pourrait rogner le pouvoir d’achat si la part actions est trop faible.
3. L’investisseur proche de la retraite
Contexte :
- 60 ans, départ prévu dans 5 ans.
- Capital constitué : 300 000 €.
- Objectif : préserver le capital et générer des revenus réguliers.
- Tolérance au risque faible (refuse une baisse de −30 % si proche de la retraite).
Allocation type :
- 30 % actions mondiales (exposition modérée à la croissance)
- 50 % obligations (dont une part en fonds euros ou obligations court terme)
- 10 % liquidités (tampon pour financer les retraits)
- 10 % immobilier coté ou SCPI (revenus complémentaires)
Logique :
- La majorité obligataire sécurise le capital.
- Une poche actions permet de maintenir un minimum de croissance pour compenser l’inflation.
- L’immobilier renforce les revenus récurrents.
- Les liquidités réduisent le risque de devoir vendre au pire moment.
Forces et limites :
- Faible volatilité, capital protégé.
- Rendement limité, risque d’érosion si les retraits sont trop importants.
- Importance de la gestion fiscale (intérêts, loyers).
Variantes possibles
- Profil entrepreneur : privilégier davantage de cash et d’obligations pour compenser l’incertitude des revenus.
- Investisseur FIRE (Financial Independence, Retire Early) : 90 % actions, 10 % obligations ou cash buffer, mais discipline stricte indispensable.
- Investisseur avancé : ajouter une petite poche d’actifs alternatifs (private equity, matières premières, crypto), limitée à 5–10 % du portefeuille.
Le point commun à retenir
Peu importe le profil, trois règles reviennent toujours :
- L’allocation doit correspondre à la situation personnelle et non à un modèle abstrait.
- La simplicité est préférable : quelques classes d’actifs bien choisies suffisent.
- La clé est de choisir une allocation que l’on pourra respecter dans le temps, même en période de marché difficile.
Conclusion
L’allocation d’actifs n’est pas une notion abstraite réservée aux professionnels de la finance. C’est l’étape qui transforme une simple liste d’investissements en un portefeuille cohérent et durable. Elle détermine en grande partie :
- le rendement global de l’épargne,
- le niveau de risque accepté,
- et surtout la capacité de l’investisseur à rester discipliné dans la durée.
Tout au long de cet article, nous avons vu :
- comment fonctionne le couple risque/rendement,
- pourquoi la répartition entre actions et obligations est le cœur de l’allocation,
- le rôle des satellites (liquidités, immobilier, or, matières premières),
- différents modèles de portefeuilles types (20/80, 60/40, portefeuille permanent, All Weather, lazy portfolios, barbell, factoriels),
- et enfin, des exemples concrets d’allocations par profil (jeune actif, famille avec projet, investisseur proche de la retraite).
La leçon centrale est simple : il n’existe pas de portefeuille parfait.
Il existe uniquement l’allocation que l’on est capable de tenir sur le long terme, même quand les marchés traversent une tempête. La discipline, la régularité des apports et le respect des règles de rééquilibrage pèsent souvent plus lourd que le choix précis entre 55 % ou 60 % d’actions.
Et maintenant ?
Vous connaissez désormais vos objectifs, les actifs disponibles, et la manière de les assembler dans un portefeuille adapté. La prochaine étape est de passer à l’exécution :
- choisir les enveloppes fiscales pertinentes (PEA, assurance-vie, compte-titres),
- sélectionner les instruments financiers adaptés (ETF, fonds, obligations, SCPI…),
- et mettre en place une maintenance régulière (apports, suivi, rééquilibrage).
C’est l’objet de la partie 4 de cette série, qui montrera comment mettre concrètement en œuvre une stratégie d’allocation, étape indispensable pour transformer une intention en un plan d’investissement solide.
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