Le mot risque
évoque souvent l'instabilité, l'incertitude, voire la perte. Pourtant, dans l'univers de l'investissement, il n'existe pas de rendement sans s'exposer à l'inconnu. Et paradoxalement, le plus grand danger n'est pas toujours de perdre, mais de ne rien faire. Ce qu'on appelle le coût d'opportunité
, c'est cette perte invisible liée à l'inaction. Laisser son épargne dormir, c'est renoncer au potentiel de croissance que seul le temps peut offrir. Comme Jonathan et Jennifer Hart dans Pour l'amour du risque — vous avez la référence ? — il faut parfois avancer malgré l'incertitude.
Dans cet article, nous explorons les différentes formes que peut prendre le risque, les outils pour l'évaluer, et les approches concrètes pour l'intégrer intelligemment dans une stratégie d'investissement durable.
Les multiples facettes du risque
Risque spécifique vs risque systémique
On peut distinguer deux grandes familles de risques financiers :
- 1. Le risque spécifique
- Il concerne un actif en particulier : une entreprise en difficulté, une erreur de gestion, un secteur en crise. Ce type de risque peut être largement réduit grâce à la diversification — notamment à travers des ETF qui répartissent l'exposition sur de nombreuses entreprises.
- 2. Le risque systémique
- Il touche l'ensemble du marché. Il s'agit de ce qui survient lors d'une crise financière globale, d'un conflit majeur ou d'une récession. Ce risque-là ne peut pas être éliminé, mais il peut être atténué par une allocation équilibrée entre plusieurs classes d'actifs (actions, obligations, matières premières, immobilier…).
Risques financiers par type d'actif
Type d'actif | Principaux risques | Facteurs d'influence |
---|---|---|
Obligations | Risque de défaut, risque de taux | Taux d'intérêt, notation de crédit |
Actions | Volatilité, risque de marché | Résultats d'entreprise, économie globale |
Immobilier | Illiquidité, risque de marché local | Taux d'intérêt, marché immobilier local |
Matières premières | Volatilité élevée | Géopolitique, offre et demande |
Liquidités | Risque d'inflation | Politique monétaire, inflation |
À ces risques directs s'ajoutent des facteurs plus subtils mais tout aussi importants :
- Le risque de stagnation de l'épargne : ne pas faire fructifier son épargne revient à perdre du pouvoir d'achat sur le long terme.
- L'impact de l'inflation sur le rendement réel : un rendement nominal de 3 % avec 2 % d'inflation ne rapporte en réalité que 1 %.
- Les biais cognitifs : nos décisions d'investissement sont souvent influencées par des facteurs émotionnels plutôt que rationnels.
Comment la finance mesure le risque
Une fois les différents types de risques identifiés, il reste une question essentielle : comment les mesurer ? Car s’il est impossible de tout prévoir, il est tout de même utile d’estimer l’ampleur des fluctuations possibles pour mieux calibrer ses décisions.
Les outils utilisés en finance pour cela sont nombreux, parfois complexes, mais ils partagent une limite commune : ils s’appuient sur des données historiques, dans un environnement par nature incertain. Ce ne sont donc pas des vérités absolues, mais des repères pour prendre du recul.
Le SRRI : une échelle de volatilité
Le SRRI (Synthetic Risk and Reward Indicator) est un indicateur imposé par la réglementation européenne pour les fonds d’investissement. Il note le niveau de risque sur une échelle de 1 (faible) à 7 (élevé), en fonction de la volatilité historique.
Niveau SRRI | Niveau de risque | Volatilité annuelle |
---|---|---|
1 | Très faible | 0-0.5% |
2 | Faible | 0.5-2% |
3 | Faible à modéré | 2-5% |
4 | Modéré | 5-10% |
5 | Modéré à élevé | 10-15% |
6 | Élevé | 15-25% |
7 | Très élevé | 25%+ |
La volatilité : l’outil le plus courant
La volatilité mesure les variations de prix d’un actif sur une période donnée. Plus un actif fluctue, plus sa volatilité est élevée, et plus il est considéré comme risqué.
- Il ne distingue pas les hausses des baisses : or, un actif qui grimpe fortement peut aussi afficher une forte volatilité.
- Il ignore le ressenti émotionnel de l’investisseur face aux pertes, pourtant central dans la prise de décision.
- Il reste un indicateur purement statistique, qui peut masquer la réalité concrète vécue sur les marchés.
Le Max Drawdown : la perte maximale enregistrée
Le max drawdown représente la plus forte baisse entre un sommet et un creux sur une période donnée. C’est un indicateur utile pour visualiser ce qu’un investisseur aurait réellement enduré lors d’une chute marquée.
Il ne dit rien sur la fréquence ou la durée des baisses, mais il donne un aperçu très concret du risque maximal observé jusqu’à présent.
Les ratios de performance ajustée du risque
Pour aller plus loin, la finance utilise des ratios comme :
-
Le ratio de Sharpe : il compare le rendement excédentaire d’un actif (par rapport au taux sans risque) à sa volatilité. Plus le ratio est élevé, plus l’investissement est considéré comme
efficace
en termes de couple rendement/risque.Limite : il considère toute volatilité, même celle à la hausse, comme négative.
-
Le ratio de Sortino : une variante plus fine, qui ne prend en compte que la volatilité à la baisse. Il correspond mieux à la réalité de la plupart des investisseurs, qui ne se plaignent pas quand leurs actifs montent!
Ces ratios sont utiles pour comparer différents placements, mais ils ne doivent jamais être l’unique critère. Un bon portefeuille ne se résume pas à une équation.
Penser portefeuille, pas actif isolé
Un actif peut paraître risqué s’il est analysé seul, mais parfaitement cohérent au sein d’un portefeuille diversifié. C’est un principe fondamental : ce qui compte, c’est l’ensemble, pas chaque ligne prise indépendamment.
C’est un peu comme une recette de cuisine : ce n’est pas la qualité de chaque ingrédient qui fait le plat, mais l’équilibre entre eux.
Un portefeuille bien construit permet :
- d’amortir les chocs en combinant des actifs qui ne réagissent pas tous de la même manière ;
- de réduire les risques spécifiques, car les mauvaises performances d’un actif peuvent être compensées par la stabilité ou la progression d’un autre.
Décorrélation et bêta : deux piliers pour stabiliser un portefeuille
Comprendre la décorrélation
Deux actifs sont décorrélés lorsqu’ils évoluent de manière indépendante. C’est précisément ce que l’on recherche dans une stratégie de diversification. Par exemple, les actions et les obligations peuvent parfois évoluer en sens opposé, ce qui permet de lisser la performance globale du portefeuille.
Cette logique de complémentarité entre les actifs est l’une des meilleures protections contre l’instabilité des marchés.
Le bêta : mesurer la sensibilité au marché
Le bêta est un indicateur qui mesure dans quelle mesure un actif suit les mouvements du marché :
- Un bêta de 1 signifie que l’actif évolue de façon identique au marché.
- Un bêta supérieur à 1 indique une plus grande volatilité : l’actif amplifie les mouvements du marché.
- Un bêta inférieur à 1 signifie que l’actif est plus stable.
- Un bêta négatif, plus rare, désigne un actif qui évolue dans le sens inverse du marché – une véritable valeur refuge en cas de chute.
Cet indicateur est utile pour ajuster la structure de son portefeuille en fonction de sa tolérance au risque, notamment en période d'incertitude.
Le risque est une condition du rendement
Il n’existe pas de rendement sans risque. Cette idée simple est au cœur de tous les modèles financiers, et en particulier du CAPM (Capital Asset Pricing Model), un outil fondamental pour comprendre la relation entre le risque pris et le rendement attendu.
Le CAPM, en théorie
Le CAPM repose sur une idée centrale : un investisseur doit être rémunéré pour deux choses :
- Le rendement sans risque, c’est-à-dire ce qu’il obtiendrait en plaçant son argent dans un actif sécurisé (comme une obligation d’État).
- Le risque supplémentaire qu’il accepte de prendre en investissant sur un actif plus volatil (comme une action).
Ce modèle estime donc qu’un actif risqué doit offrir une prime de risque pour être attractif.
En clair, plus un actif est risqué, plus son rendement "logique" doit être élevé. C’est un outil utile pour évaluer si un investissement est correctement valorisé… mais cela reste un modèle, avec ses limites.
Le CAPM, dans la vraie vie
Le CAPM repose sur plusieurs hypothèses idéalisées : que les marchés sont rationnels, que les rendements sont distribués normalement, que les données passées suffisent à prédire l’avenir… Ce qui, dans la pratique, est rarement le cas.
Cela ne signifie pas qu’il faut l’ignorer, mais plutôt le considérer comme un cadre de réflexion, un outil parmi d’autres pour analyser un portefeuille.
Les primes de risque : pourquoi certains actifs rapportent plus
Un actif risqué ne rapporte pas plus "par magie". Il le fait parce que les investisseurs demandent une compensation pour accepter une incertitude plus grande.
Voici les principales primes de risque observées sur les marchés :
- Prime de marché : la plus connue. C’est le supplément de rendement attendu pour investir dans des actions plutôt que dans un actif sans risque. Elle est généralement estimée autour de 5–6 % par an, sur le long terme.
- Prime d’illiquidité : certains actifs sont difficiles à vendre rapidement (immobilier, petites entreprises…). Cette contrainte crée un rendement supplémentaire attendu par les investisseurs.
- Prime de crédit : lorsqu’on prête à des emprunteurs risqués (entreprises, Pays émergents), on exige un rendement plus élevé pour compenser le risque de défaut.
Ces primes s’ajoutent au taux sans risque, qui sert de référence pour tout investissement. Plus ce taux est élevé, plus les exigences de rendement augmentent, et inversement.
Le risque perçu vs le risque réel
L’un des pièges les plus fréquents pour l’investisseur est de surestimer sa tolérance au risque.
Il est facile de cocher "modéré" ou "dynamique" dans un questionnaire, ou d’affirmer en période calme :
"Une baisse de 30 % ? Aucun souci, je tiendrai bon."
Mais la réalité est souvent différente lorsque le portefeuille commence réellement à chuter. L’impact émotionnel peut être bien plus fort que prévu, et les réactions impulsives peuvent ruiner une stratégie construite avec soin.
La tolérance au risque est influencée par :
- sa situation personnelle (emploi, revenus, charges) ;
- son horizon d’investissement ;
- son expérience passée des marchés ;
- son état émotionnel au moment de la prise de décision.
C’est pourquoi il est essentiel de se poser régulièrement quelques questions simples :
- Jusqu’à quelle perte concrète (en euros, pas en pourcentage) suis-je capable de tenir sans vendre ?
- Comment ai-je réagi lors des précédents krachs ou corrections ?
- Mon allocation actuelle est-elle cohérente avec mes objectifs réels ?
Construire un portefeuille durable
La gestion du risque ne se résume pas à éviter les actifs volatils. Il s’agit avant tout de construire un portefeuille cohérent, capable de traverser les cycles économiques et de rester aligné avec les objectifs de l’investisseur.
Les grandes étapes d’une stratégie robuste
- Définir ses objectifs et son horizon de placement.
- Choisir des classes d’actifs complémentaires, en tenant compte de leur comportement historique.
- Comparer les rendements ajustés au risque, en privilégiant les ratios comme Sortino.
- Observer le comportement des actifs en période de crise, pour tester leur résilience.
- Équilibrer régulièrement le portefeuille (rebalancing), car certains actifs surperforment et modifient la répartition avec le temps.
L’objectif n’est pas de tout prévoir, mais de se préparer à différents scénarios, avec une stratégie claire, réaliste et maintenue dans le temps.
Conclusion : apprivoiser le risque
Le risque fait partie intégrante de l’investissement. Il ne peut pas être supprimé, mais il peut être compris, anticipé et géré. Et surtout, il peut devenir un allié lorsqu’il est intégré dans une stratégie réfléchie.
La clé n’est pas d’éviter les fluctuations à tout prix, mais de trouver le niveau de risque adapté à sa propre situation, à ses objectifs, et à sa capacité à rester investi dans la durée.
Car au fond, ce n’est pas le risque qui menace le plus l’investisseur.
C’est la panique, l’improvisation… ou l’inaction.
Pour aller plus loin
- Actifs et risque pour comprendre les différents actifs et leur niveau de risque.
- Principes d'investissement en bourse pour apprendre les principes de base de l'investissement en bourse.
- Guide des actifs alternatifs pour diversifier son portefeuille.
- Portfolio Visualizer est un outil puissant d'analyse de portefeuille et de backtest.